lundi 21 novembre 2011

Artifice

Peins moi un tableau


Quand tu me regardes, qu'est-ce que tu vois ?
Le pornographe te peint un tableau :
Mes seins, nus pour ton plaisir
Mes jambes, écartées pour montrer que j'en veux
Mon vagin, ouvert pour ta jouissance
Mon anus, lubrifié et prêt
Ma bouche, peinte en rouge, lèvres légèrement écartées.
Allumeuse
Qui attend, attend tout entière,
D'être comblée, de te servir,
De servir ta bite.

Crois-tu que tu me voies tout entière ?
(Et je ne parle pas des gros plans)
Ou est-ce que tu vois seulement les "trous" en moi ?
Il te montre mon intérieur - l'anatomie
Mais il ne veut pas que tu voies mon véritable intérieur :
C'est caché
Recouvert de peinture.

Laisse moi te peindre un autre tableau.

Je suis un être humain
Qui avait des espoirs et des rêves
Avec une famille, une histoire.
Qui ressent et pense et mange et dort
Et chie
Comme n'importe quel autre.
Peut-être que tu ne me connais pas
Mais tu ne peux pas te permettre de resté détaché.
Si j'étais ta soeur
Ou ta mère
Me traiterais-tu de la même façon ?
Pourrais-tu me traiter de la même façon ?
Comment te sentirais-tu, sachant
que d'autres hommes font de l'argent sur moi
Ont fait des appréciations sur moi
Ont mis un prix sur moi ?
Que d'autres hommes achètent mon corps
et se branlent sur moi
Peut-être cet homme dans la rue
Ou celui-là ?
Je vis avec ça chaque jour.

Laisse moi te peindre un tableau
Un instantané de mon monde
Un jour dans ma vie
Sans censure
Sous l'épaisseur de maquillage
Il y a des cercles noirs autour de mes yeux
Je ne dors pas bien la nuit
Sachant ce qui m'attend -
Une autre journée à me déshabiller
et à poser et à faire la moue
et à faire semblant que j'aime ça
veux ça
suis ça
À genoux et sur mes mains
Exposée
Dégradée
Comme ces hommes me donnent des instructions
Me dirigent
Me poussent
À des choses toujours plus explicites, toujours plus douloureuses.
Dignité
Humanité
Respect de soi
Disparus depuis longtemps
L'alcool et les drogues
Le besoin désespéré d'argent
Pour un fix
Qui me piège ici
Ma haine de moi
et l'homme qui l'alimente
Qui m'a frappée
et m'a violée
et m'a vendue
et a vendu cette image de moi
à moi :
Une rien
Un ensemble de trous
Une salope stupide
Qui a sa place ici
et ne mérite rien de plus
que ton rire
ton mépris
tes fluides corporels

Les vérités dégoûtantes
n'ont pas leur place dans le tableau
que tu décides de voir.

Mais c'est mon tableau
Ma raison d'être ici
Toujours présent
Mais caché de toi si facilement
Avec ta complicité
Derrière le maquillage
Derrière le sourire.

Je te vois, riant de moi
ou commentant mon corps
et te branlant sur moi
Là piégée dans mon existence à deux dimensions
Toi et ton discours sur les droits et les choix !
Mais me vois-tu ?
Vas-tu me voir ?
Je veux que tu me voies
Le tableau entier
Et que tu n'achètes plus jamais
Cette fausse image
L'image du pornographe.